« Je suis de la race de ceux qu’on opprime.
Mon nom : offensé
Mon prénom : humilié
Mon état : révolté
Mon âge : l’âge de pierre ».
Et les chiens se taisaient, 1958, Aimé Césaire
Cette année marque le 110ème anniversaire de la naissance d’Aimé Césaire. L’illustre poète, écrivain et homme politique, dont la vie toute entière a sonné comme un refus. Le refus de l’ignorance, le refus du silence, le refus de la complaisance, le refus de la lâcheté et de la résignation, face à une vie insipide, anéantie par le colonialisme. « Pour nous le choix est fait. Nous sommes de ceux qui refusent d’oublier. Nous sommes de ceux qui refusent l’amnésie même comme méthode », Discours sur le colonialisme.
Car comment accepter une vie paralysée, une vie ou l’humanisme n’a pas été fait pour ‘’les nègres’’, une vie au sein de laquelle être noir, c’est être réduit au rang de marginal.
« Contrairement à beaucoup de camarades de ma génération, j’avais constamment le sentiment que je vivais dans un monde fermé, étroit, un monde colonial », confiait-il à Françoise Verges. Alors, il n’avait d’autre choix que de mettre des mots sur les maux, afin d’amener à une prise de conscience, car comme il l’a souvent rappelé avec conviction, il n’est point vrai qu’être noir, c’est n’avoir rien à faire au monde, il n’est point vrai que le statut d’être humain s’acquiert dans une quelconque aptitude à singer l’Europe. Face au désespoir de son peuple, face aux situations de domination imposées dans le monde, il a choisi de se positionner en faveur de la justice et de l’égalité. Césaire, c’est cette homme engagé, rebelle, indocile face à cette Europe « hoquet considérable », et qui tente inlassablement d’associer colonialisme et entreprise humaniste.
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir », Cahier d’un retour au pays natal, 1939, Aimé Césaire.
Etre la voix des opprimés, leur arracher des droits, les exhorter à se battre pour une vie digne d’être vécue, la poésie de Césaire, tout comme son combat politique est motivé par la condition inégalitaire faite aux peuples noirs.
« Au bout du petit matin cette vie prostrée, on ne sait où dépêcher ses rêves avortés, le fleuve de vie désespérément torpide dans son lit, sans turgescence ni dépression, incertain de fluer, lamentablement vide, la lourde impartialité de l’ennui, répartissant l’ombre sur toutes choses égales, l’air stagnant sans une trouée d’oiseau clair », Cahier d’un retour au pays Natal.
Et c’est ainsi que le poète mobilise toutes ‘’ses armes miraculeuses’’ dans le but de détruire le préjugé de race, et l’exploitation qui contraint des milliers d’hommes à éprouver « complexe d’infériorité, peur, tremblements, agenouillement, désespoir, larbinisme, et à vivre dans une extrême pauvreté, dépossédés de leurs corps et leurs esprits.
Arrivé en France pour étudier les lettres, il fréquente des étudiants de tout horizon, ce qui contribue à forger sa conscience de l’acculturation à l’œuvre dans les sociétés coloniales. Il commence par se poser trois questions qui constituent le fil conducteur de son combat « Qui suis-je, que sommes-nous dans ce monde blanc, que m’est-il permis d’espérer ? ». Et c’est ainsi qu’en 1934, il crée l’Etudiant noir. Il forge également le concept de négritude afin de replacer le peuple noir et plus particulièrement les Antillais au centre de leur histoire, tout en suscitant chez eux la fierté de leurs origines. En 1939, à son retour en Martinique, il publie son fabuleux cahier d’un retour au pays natal et fonde la revue Tropiques qui continue à paraître même sous le régime de Vichy. Tout au long de sa vie, il publie des œuvres engagés contre l’oppression colonialiste.
Parallèlement, il mène sa lutte sur le plan politique. En 1946, il porte la loi de départementalisation, ayant pour objectif d’offrir des conditions de vie meilleures à son peuple, et des droits fondamentaux, niés jusque-là par le racisme à l’œuvre dans la société française. Il devient maire de Fort-de-France de 1946 à 2001, et fondateur du parti progressiste martiniquais en 1958, après avoir quitté le parti communiste Français en 1956, suite au rapport Khrouchtchev révélant les crimes de Staline. Tout au long de ses mandats politiques, il vient en aide aux plus démunis menant une vaste politique sociale et culturelle pour favoriser l’émancipation des Martiniquais. Cependant, il aime à le rappeler, ce retour sur soi, cet appel à retrouver son identité n’a pas pour vocation d’enfermer et de confiner les peuples noirs dans un racisme et un « particularisme étroit ». Il est plutôt une étape nécessaire à une ouverture au monde.
« Chez moi, il n’y a jamais d’emprisonnement dans une identité. L’identité est enracinement. Mais c’est aussi un passage. Passage universel. », Entretien, le courrier de l’Unesco, 1997
Césaire c’est définitivement un homme de révolte, la révolte face à une vie remplie d’artifices, perfusée, trompée tout comme tronquée, une vie de misère intellectuelle et sociale, une vie d’exploitation éhontée qui ne cesse de refluer la dure réalité : les chaînes ont elle été véritablement brisées avec la fin de l’esclavage ?
Mais tout en étant un homme de refus, tout en combattant l’ombre, il porte en lui la lumière, refusant de céder à la violence.
« Ne faites pas de moi cet homme de haine, car pour me cantonner en cette unique race, vous savez pourtant mon amour tyrannique, vous savez que ce n’est point par haine des autres races que je m’exige bêcheur de cette unique race, que ce que je veux, c’est pour la faim universelle, pour la soif universelle », Cahier d’un retour au pays natal.
Césaire c’est aussi ce grand humaniste qui croit en l’égalité de tous et aux différentes civilisations.
« Nous croyons «aux» civilisations, au pluriel, et «aux» cultures. Le progrès, avec cette déclaration, c’est que tous les hommes ont les mêmes droits, simplement parce qu’ils sont des hommes. Et ces droits-là, tu les réclames pour toi et les autres », Nègre je suis, Nègre je resterai, 2005, Entretien avec Françoise Vergès.
Enfin, il est important de souligner le droit à l’égalité dans la différence pour lequel notre homme politique s’est battu, le droit à l’initiative qu’il soulignait et qui est encore d’actualité aujourd’hui. Soyons nos propres bâtisseurs, soyons les instigateurs de notre destin, car qui de mieux que nous pour créer les voies vers notre émancipation ?
« Il nous faudra avoir la patience de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ; la force d’inventer au lieu de suivre ; la force « d’inventer » notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent. En bref, nous considérons désormais comme notre devoir de conjuguer nos efforts à ceux de tous les hommes épris de justice et de vérité pour bâtir des organisations susceptibles d’aider de manière probe et efficace les peuples noirs dans leur lutte pour aujourd’hui et pour demain : lutte pour la justice ; lutte pour la culture ; lutte pour la dignité et la liberté ; des organisations capables en un mot de les préparer dans tous les domaines à assumer de manière autonome les lourdes responsabilités que l’histoire en ce moment même fait peser si lourdement sur leurs épaules ».
Lettre à Maurice Thorez, 1956
Mathieu CORDEMY
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